Dans un rapport publié en 2018, Oxfam montre que depuis 2009, les actionnaires des groupes du CAC 40 ont été généreusement servis en accaparant plus des deux tiers des bénéfices de ces entreprises. Vient ensuite la part consacrée aux investissements, qui n’a été en moyenne que de 27,5 %. Les salariés, eux, se sont vu attribuer seulement 5 % du total sous la forme d’intéressement et de participation.
Si la distribution des dividendes alimente régulièrement le débat public, c’est qu’elle constitue un des rouages essentiels du système capitaliste et qu’elle impacte directement la santé économique de l’entreprise et sa qualité de vie au travail.
Dans une société capitaliste concrète, la force de travail employée par le capital produit de la plus-value (qui est une partie de la valeur) si celui-ci réussit à vendre la marchandise. En ce sens, le travail est dit productif pour le capital.
C’est la répartition de cette plus-value qui est de plus en plus contestée, à l’heure où les 26 plus grosses fortunes du monde possèdent autant d’argent que la moitié de la population mondiale. D’aucuns considèrent qu’un partage équitable des bénéfices permettrait de mettre le capital au service de l’entreprise dans son ensemble et de faire cesser l’opposition entre travail et capital. Par ailleurs, la redistribution des bénéfices est directement liée à la santé économique des entreprises. Celles qui font le choix de réinvestir une part de leur profits pour financer leur développement se montrent globalement plus pérennes et résilientes. En témoignent les sociétés coopératives et participatives (SCOP), qui ont démontré leur solidité financière durant la crise de 2008, grâce notamment à leurs réserves impartageables.
On voit donc bien à quel point la redistribution des bénéfices représente un enjeu structurant au sein de la pensée économique.
Dans ce panorama, nous ferons un tour d’horizon des différents mécanismes de partage des fruits de la croissance. Sociétés coopératives, organisations à but non-lucratif, entreprises solidaires d’utilité sociale : nous verrons également que de nombreuses entreprises ont inscrit ce partage des bénéfices au sein même de leurs statuts.
Mais avant cela, quelques définitions.
Définitions
- Lucrativité limitée : principe en vertu duquel les bénéfices sont majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise. La lucrativité limitée est l’un des grands principes de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS).
- L’épargne salariale est un système d’épargne collective qui repose sur le versement de primes à chaque salariés en fonction des résultats de son entreprise, ces primes pouvant être calculées à partir de la performance de l’entreprise (intéressement) ou de ses bénéfices (participation).
- L’intéressement est un complément de salaire attribué aux employés selon les résultats et la performance réalisée par l’entreprise. Il peut être mis en place dans toutes les entreprises, quelle que soit leurs tailles, l’effectif ou bien statut juridique.
- La participation est un mécanisme de redistribution des bénéfices de l’entreprise aux salariés. Elle est obligatoire dans les entreprises dont l’effectif est de 50 salariés ou plus. Le salarié bénéficiaire reçoit une prime dont le montant est fixé par l’accord de participation. Il peut demander le versement immédiat des sommes ou leur placement en épargne. Dans ce cas, les sommes sont indisponibles pendant 5 ans. L’accord de participation précise comment les sommes sont placées.
- Les plans d’options sur actions (actionnariat salarial) permettent à une entreprise d’attribuer à certains de ses salariés le droit d’acquérir ses propres actions à des conditions privilégiées, constituent à la fois une forme d’intéressement et de participation.
- Société coopérative de production (SCOP) : Dans une SCOP, les salariés possèdent au minimum 51% du capital, ils sont associés majoritaires. Le régime juridique de la SCOP permet une répartition spécifique des bénéfices : une partie (environ 45 %) constitue les « réserves impartageables » qui vont contribuer au développement de l’entreprise ; une partie (environ 10 %) est versée en dividende aux associés ; une partie est versée à l’ensemble des salariés de la SCOP, qu’ils soient actionnaires ou pas.
- Le plan d’épargne entreprise (PEE) est « un système collectif d’épargne qui permet aux salariés (et aux dirigeants dans les petites entreprises) d’acquérir des valeurs mobilières avec l’aide de l’entreprise. Les salariés et les entreprises peuvent effectuer des versements sur le PEE. Les sommes sont indisponibles pendant au moins 5 ans, sauf cas de déblocages exceptionnels. »
- Le forfait social est une contribution à la charge de l’employeur. Elle est prélevée sur les rémunérations ou gains exonérés de cotisations de Sécurité sociale mais assujettis à la contribution sociale généralisée (CSG).
Historique
- 1844 : création de la première entreprise coopérative moderne par un groupe de 28 artisans qui travaillaient dans les filatures de coton dans la ville de Rochdale, dans le nord de l’Angleterre.
- 1867 : publication du “Capital” ouvrage majeur du philosophe et théoricien allemand Karl Marx.
- 7 janvier 1959 : ordonnance qui met en place le système facultatif d’intéressement dans les entreprises.
- 17 août 1967 : Ordonnance voulue par le Général De Gaulle qui définit la formule de calcul de la participation aux bénéfices.
- 31 décembre 1970 : Loi pour l’introduction des plans d’options sur action
- 2008 : création du forfait social
- 2009 : le taux du forfait social est de 2%
- Juillet 2012 : le taux du forfait social passe à 20%
- 20 décembre 2017 : Article L.2313-8 du code du travail rend la participation aux bénéfices obligatoire pour les entreprises d’au moins 50 salariés ou dans les entreprises constituant une unité économique et sociales (UES)
- La loi du 31 juillet 2014 : Première loi qui pose le périmètre de l’Économie Sociale et Solidaire. Au-delà des statuts historiques de l’ESS, à savoir les associations, les mutuelles, les coopératives et les fondations, elle ouvre l’ESS aux entreprises à statut commercial poursuivant un objectif d’utilité sociale tel que défini dans la loi, et faisant le choix d’appliquer les principes de l’ESS.
- 22 mai 2019 : Adoption de la loi Pacte, qui revoit certaines conditions applicables en matière d’épargne salariale.
Chiffre clés
- 25 % des entreprises de moins de 250 salariés ont instauré l’intéressement, alors que la couverture est de 57% pour les entreprises de plus de 250 salariés.
- 2,37 millions : nombre de salariés travaillant dans des structures de l’Économie Sociale et Solidaire.
- 16 % environ des salariés des entreprises de moins de 50 salariés disposaient d’un accord de participation ou d’intéressement en 2019.
- 20 % des salariés des entreprises entre 50 et 99 salariés et 35% des salariés des entreprises de 100 à 249 salariés étaient concernés par l’intéressement en 2019.
- 5 millions de salariés sont concernés par le système de participation et 3 millions par l’intéressement en 2020.
- 5 % seulement des PME envisagent de proposer un dispositif d’actionnariat salarié au cours des trois prochaines années. Pourtant, 85 % des entreprises françaises non cotées qui se sont dotées d’un dispositif d’actionnariat salarié s’en déclarent satisfaites, et 29 % envisagent même d’amplifier leur dispositif d’après une étude mené en 2015.
- Selon une étude du centre d’analyse Stratégique, l’impact positif des mécanismes de partage des profits serait de 25 à 30% sur le taux d’absentéisme.
- Les salariés bénéficiant de formules de partage des bénéfices sont, en moyenne, plus productifs de 4 à 5%.
Pourquoi, c’est important ?
Le partage des fruits de la croissance est une question fondamentale, qui touche à de nombreux aspects de la vie de l’entreprise : Qui détient le capital ? Les actionnaires sont-ils présents ou sont-ils uniquement des “actionnaires fantômes”, intéressés par la seule rentabilité à court-terme de l’entreprise ? Les salariés sont-ils détenteurs d’une partie du capital de leur entreprise ? Sont-ils pleinement impliqués dans sa gouvernance ? Les bénéfices générés sont-ils en partie réinjectés dans l’entreprise ?
Le partage des bénéfices au sein d’une entreprise peut se faire sous forme d’intéressement, de participation ou bien d’actionnariat salarial.
L’intéressement donne droit au dirigeant mais aussi aux salariés à des avantages fiscaux et sociaux car sa valeur ne fait pas partie du salaire imposable et donc l’employeur est exonéré de la taxe sur les salaires.
La participation est quant à elle est un bon moyen pour l’entreprise de fidéliser ses salariés et d’être attractive sur le marché du travail et celle-ci est moins coûteuse pour l’entreprise qu’un salaire ou une prime standard. Pour le salarié, la participation est un complément de rémunération, non négligeable qui pourra faire l’objet d’un versement direct imposable comme un salaire ou bien qui pourra être épargné sur le long-terme via un plan d’épargne salariale avec une fiscalité avantageuse.
L’actionnariat salarial permet au salarié de devenir actionnaire de son entreprise à un moindre coût. Il lui permet également de bénéficier d’informations sur son entreprise et potentiellement de participer à la prise de certaines décisions stratégiques. C’est donc un excellent gage de motivation et cela accroît le sentiment d’appartenance du salarié. Pour l’entreprise, l’actionnariat salarial est comme les autre système de partage des profits un excellent moyen de motiver, fidéliser les salariés et de leur exprimer de la confiance pouvant même mener à une augmentation de la productivité. L’actionnariat salarial peut aussi être un bon moyen de faciliter la transmission de l’entreprise à un collaborateur détenteur d’actions.
Les sociétés coopératives de production sont un bel exemple d’actionnariat salarial : Juridiquement, une Scop est une société coopérative de forme SA, SARL ou SAS dont les salariés sont associés majoritaires et détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote.
Ces mécanismes d’épargne salariale contribuent à diminuer le taux d’absentéisme, à favoriser l’implication des salariés et à stimuler leur productivité. Ils offrent également à ces derniers la possibilité d’améliorer leur retraite et de favoriser leur accès au logement.
Comment s’y mettre ?
L’instauration des mécanismes de redistribution des bénéfices requiert le respect de certaines conditions. Pour la participation aux bénéfices ayant un caractère obligatoire, il faut au préalable un accord entre l’entreprise et les salariés, ou leurs représentants.
Différents modes d’accord peuvent être formulés :
- Convention ou accord collectif de travail
- Accord entre l’employeur et les représentants d’organisations syndicales représentatives
- Accord au sein du comité social et économique (CSE) entre l’employeur et la délégation du personnel
- Projet d’accord proposé par l’employeur et adopté par référendum à la majorité des 2/3 des salariés.
En effet, si aucun de ces types d’accord n’est formulé, et que l’entreprise est dans l’obligation d’en instaurer un, de fait celui-ci sera imposé par l’inspection du travail.
Pour l’intéressement, qui n’a pas de caractère obligatoire, ce sont les mêmes types d’accord qui sont proposés mais en aucun cas ceux-ci ne pourront être imposés par l’inspection du travail.
Enfin, en ce qui concerne l’actionnariat salarial, ils existent également plusieurs dispositifs :
- L’attribution gratuite d’actions selon des objectifs de performance, limitée à 10% du capital.
- L’augmentation du capital pour les salariés leur permettant d’acquérir des parts avec leur fonds propres, limitée aussi à 10% du capital.
- L’offre de souscription via stock-option ou bons de souscription d’actions.
- Transformation de son entreprise en Société coopérative de production (SCOP) ou en Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC).