Le modèle de production et de consommation qui prédomine depuis la révolution industrielle repose sur un schéma linéaire que l’on pourrait résumer de la façon suivante : produire, consommer, jeter. Notre activité économique consiste en grande partie à extraire des matières premières, à fabriquer des produits, puis à générer et traiter des déchets. Si ce modèle a provisoirement contribué à une véritable amélioration globale des conditions de vie, il se trouve aujourd’hui confronté à ses propres limites.
Deux constats s’imposent. Le premier concerne la raréfaction des matières premières et l’accélération du dérèglement climatique. Le second, l’explosion démographique. La population mondiale devrait progresser de 43% entre 2012 et 2100 et nos prélèvements sur les ressources naturelles dépassent déjà largement la biocapacité de la terre.
L’enjeu est clair. Il nous faut trouver un moyen de subvenir aux besoins de la population mondiale tout en réduisant drastiquement les externalités négatives de nos activités sur l’environnement.
Parmi les différentes alternatives existantes, l’économie circulaire s’impose lentement mais sûrement comme une solution privilégiée afin de répondre à ce double impératif.
Ce modèle rompt radicalement avec le modèle linéaire puisqu’il consiste à repenser nos modes de production et de consommation afin d’optimiser l’utilisation des ressources naturelles et ainsi limiter les déchets générés. L’ADEME définit l’économie circulaire comme « un système économique d’échange et de production qui vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer notre impact sur l’environnement. Il s’agit de découpler la consommation des ressources de la croissance du produit intérieur brut (PIB) tout en assurant la réduction des impacts environnementaux et l’augmentation du bien-être ».
En France, la transition vers une économie circulaire est aujourd’hui reconnue officiellement comme l’un des objectifs de la transition énergétique et écologique et des entreprises de plus en plus nombreuses tentent de faire transiter leurs modèles de production vers une économie circulaire, en ayant recours à des logiques d’approvisionnement durable, d’écoconception, d’écologie industrielle ou d’économie de la fonctionnalité.
Toutefois, ces logiques doivent rester transitoires, car dans la véritable économie circulaire, la notion même de déchet n’existe pas. Tout y est ressource/nutriment, comme dans la nature : «rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme».
Nous allons tenter, à travers ce dossier thématique, de mieux cerner les contours de ce nouveau modèle d’économie, ainsi que les différentes pratiques qui s’y rapportent.
Mais avant cela, un petit détour sémantique s’impose.
Définitions :
- L’économie circulaire peut se définir comme «un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien être des individus. » (ADEME)
- La biocapacité de la terre désigne sa capacité à produire une offre continue en ressources renouvelables et à absorber les déchets découlant de leur consommation, notamment la séquestration du dioxyde de carbone.
- L’écoconception vise, dès la conception d’un procédé, d’un bien ou d’un service, à prendre en compte l’ensemble du cycle de vie en minimisant les impacts environnementaux.
- L’écologie industrielle et territoriale (EIT) stimule les échanges de ressources (énergie, matières, co-produits…) entre entreprises.
- L’économie de la fonctionnalité privilégie l’usage à la possession et tend à vendre des services liés aux produits plutôt que les produits eux-mêmes.
- Le recyclage : ensemble des techniques ayant pour objectif de récupérer des déchets et de les réintroduire dans le cycle de production dont ils sont issus.
- L’upcycling : À la différence d’un produit recyclable, un produit upcyclable maintient «la qualité des matières premières tout au long des multiples cycles de vie du produit». Ici, la notion de déchet est vouée à disparaître puisque tout produit peut être considéré comme une ressource.
Historique :
- 1990 : parution de l’ouvrage « Economics of Natural Ressources and the Environment » de David W. Pearce et R. Kerry Turner, où est employé pour la première fois le terme « économie circulaire ».
- 2002 : formulation du concept de « cycle fermé » (labellisé sous le nom de “cradle to cradle”) par Michael Braungart (chimiste allemand) et William McDonough (architecte américain), qui veut que rien ne se perde et que tout se recycle à l’infini. Il s’agit d’un nouveau modèle de société basé sur la préservation et la valorisation des ressources.
- 2009 : parution du premier livre sur l’économie circulaire en langue française : « l’urgence écologique », de Jean Claude Levy.
- 14 octobre 2014 : l’assemblé nationale adopte le texte de loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte dont le but est de « lutter contre le gaspillage et promouvoir l’économie circulaire : de la conception des produits à leur recyclage. »
- 2015 : adoption de la loi de transition énergétique pour la croissance verte qui donne une définition de l’économie circulaire (article L110-1-1 du code de l’environnement) et l’érige en objectif national.
- 2017 : lancement par le ministre de la transition écologique et solidaire d’une feuille de route pour mettre en place les outils opérationnels pour passer d’un modèle économique linéaire à un modèle fondé sur le cycle de vie du produit.
- 11 février 2020 : Loi relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire. Les administrations sont soumises à de nouvelles obligations « vertes », comme l’inclusion dans les achats publics à partir de 2021 de clauses relatives à l’économie circulaire.
Chiffre clés :
- Selon l’OCDE, l’économie mondiale a consommé 60 milliards de tonnes de ressources naturelles en 2007, soit 65% de plus qu’en 1980.
- Si rien ne change, la consommation mondiale de matières atteindra 150 milliards de tonnes à l’horizon 2050.
- Il faudra sans doute l’équivalent de « deux terres » avant 2050 pour satisfaire la consommation mondiale, sachant que les ressources « d’une terre et demie » étaient déjà nécessaires en 2014.
- D’après la Fondation Ellen MacArthur, l’économie circulaire permettrait de réaliser une économie nette annuelle de 380 milliards de dollars en Europe.
- Le recyclage en France a permis d’économiser environ 2,3 % de la consommation française totale d’énergie non-renouvelable en 2006.
- Le secteur de la gestion des déchets représente en France plus de 135 000 emplois (source : Ministère de la Transition Écologique et Solidaire).
Pourquoi, c’est important ?
L’économie circulaire est une réponse efficace à l’urgence écologique actuelle. En s’imposant en tant que modèle, elle permettrait de découpler la croissance économique de l’épuisement des ressources naturelles par la création de produits, services, modèles d’affaire et politiques publiques, tous innovants en prenant en compte l’ensemble des flux tout au long de la vie du produit ou service.
D’un point de vue environnemental, les principaux bénéfices constatés sont, comme nous avons déja pu le mentionner, la réduction de la consommation des ressources naturelles via un système de réutilisation en boucle de ces dernières, mais également une diminution des émissions de gaz à effet de serre : le secteur de l’industrie manufacturière (hors activité liée au traitement des déchets et y compris activités de construction) est à l’origine de 79 Mt CO2e émis en 2017. Ce secteur est le quatrième contributeur d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sur le territoire national français.
Par ailleurs, l’économie de circularité repose sur une logique de proximité et constitue donc un facteur de création d’emplois à l’échelon local.
Du côté des entreprises, le basculement vers l’économie circulaire est généralement motivé par la combinaison de facteurs d’ordre économique, réglementaire et communicationnel.
D’un point de vue financier, les entreprises ont tout intérêt à améliorer leur efficacité matière et énergétique. Elles peuvent réaliser d’importantes économies d’approvisionnement et limitent les risques liés de la fluctuation du prix des matières ou aux pénuries de ressources.
Les nouveaux modèles économiques orientés vers la fonctionnalité représentent également des opportunités en termes de débouchés et de fidélisation de la clientèle. La relation entre le prestataire et ses clients évolue vers la fourniture d’un service intégré sans transfert de propriété. Les liens renforcés entre fournisseurs et utilisateurs sont susceptibles d’attirer des clients lassés d’acheter des produits à la durée de vie limitée.
Une entreprise peut également choisir de s’engager vers l’économie circulaire afin d’anticiper des changements de réglementation. La mise en place de la filière REP sur les DEEE a par exemple incité l’entreprise Neopost à écoconcevoir ses produits.
Enfin, l’économie circulaire s’inscrit dans le cadre de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises. Elle permet aux acteurs économiques de coupler des objectifs économiques, sociaux et environnementaux par le biais de projets concrets, et de bénéficier de retombées positives en matière de communication.
Comment s’y mettre ?
En France, l’ADEME propose une approche de l’économie circulaire par piliers :
L’approvisionnement durable (extraction/exploitation et achats durables) concerne le mode d’exploitation/extraction des ressources visant une exploitation efficace des ressources en limitant les rebuts d’exploitation et l’impact sur l’environnement. Ce pilier recouvre les éléments relatifs aux achats privés et publics (des entreprises et des collectivités).
- Sélectionner des fournisseurs en fonction des produits recyclés, d’occasion ou reconditionné qu’ils proposent.
- Exploiter des ressources renouvelables en tenant compte de leur capacité de renouvellement
- Veiller à une communication transparente sur la chaîne d’approvisionnement pour connaître l’origine des produits
L’écoconception vise, dès la conception d’un procédé, d’un bien ou d’un service, à prendre en compte l’ensemble du cycle de vie en minimisant les impacts environnementaux.
- étude du cycle de vie de votre produit/service pour réduire son impact environnemental à chaque étape
- élaboration d’une stratégie d’innovation basée sur l’imitation du vivant (biomimétisme)
- utilisation de matériaux renouvelables, biosourcés, qui ne nuisent pas à la biodiversité
L’écologie industrielle et territoriale, dénommée aussi symbiose industrielle, constitue un mode d’organisation interentreprises par des échanges de flux ou une mutualisation de besoins.
- Mutualisation des procédés industriels de production au sein des usines
- Evaluation et amélioration de la performance énergétique des usines
- Production dans une démarche d’économie circulaire
L’économie de la fonctionnalité privilégie l’usage à la possession et tend à vendre des services liés aux produits plutôt que les produits eux-mêmes.
- Transformation de votre modèle d’affaire pour passer de la vente d’un produit à la vente d’un usage
- Création de partenariat, coopération avec le client pour le partage de valeur autour du produit
- Planification de la maintenance des produits sur une période donnée
La consommation responsable doit conduire l’acheteur, qu’il soit acteur économique (privé ou public) ou citoyen consommateur, à effectuer son choix en prenant en compte les impacts environnementaux à toutes les étapes du cycle de vie du produit (biens ou service).
- Incitation financière à la consommation de produits respectueux de l’environnement (bonus écologique)
- Mise en avant des produits à forte valeur environnementale (PLV)
- Communication visuelle au sein des magasins en fonction de l’impact sur l’environnement (de A à F)
L’allongement de la durée d’usage par le consommateur conduit au recours à la réparation, à la vente ou don d’occasion, ou à l’achat d’occasion dans le cadre du réemploi ou de la réutilisation.
- Augmentation de la durée des garanties sur les produits pour limiter l’achat de produits neufs
- Veiller à la possible réparation ou au changement facilité de pièces remplaçables au sein de vos produits pour augmenter leur durée de vie
- Création d’un service de reprise des produits usagés pour les vendre en occasion
Le recyclage vise à utiliser les matières premières issues de déchets.
- Réutilisation et recyclage des composants.
- Partenariat de valorisation des déchets industriels directement sur site avec d’autres entreprises
- Cartographie des flux entrants et sortants d’énergie et de matière dans l’objectif de mutualiser ces flux et valoriser les déchets.
Sources :
- https://www.ademe.fr/expertises/economie-circulaire
- https://www.avise.org/articles/pourquoi-aller-vers-leconomie-circulaire
- https://www.ademe.fr/expertises/dechets/chiffres-cles-observation/chiffres-cles
- https://institut-economie-circulaire.fr/economie-circulaire/
- https://www.economiecirculaire.org/static/h/les-enjeux-de-leconomie-circulaire-pour-les-entreprises.html
- https://ree.developpement-durable.gouv.fr/themes/defis-environnementaux/changement-climatique/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-du-secteur-de-l-industrie-manufacturiere